Titre original :
Cette nouvelle figure dans La grande anthologie de la science-fiction, Histoires de créatures, © Nova Publications Ltd, 1954 © Editions Opta, pour la traduction par Bruno Martin.
Dès la première page de cette nouvelle de James White - « auteur nord-irlandais »
(comme l'indique la fiche auteur du recueil) dont les récits, et notamment celui-ci,
se caractérisent par l’intérêt porté aux rapports entre les personnages,
tout particulièrement leurs interactions, « les motifs de compréhension et de coopération »
s’y retrouvant dans la plupart -
en lisant son entrée en matière,
nous disposons de deux indices explicites nous permettant de nous repérer dans son étrangeté narrative.
Tout d’abord le titre, « Les conspirateurs », qui nous informe de l’évidence d’une conspiration
et de la teneur des actions des personnages la menant.
Ensuite le troisième paragraphe : « Il semblait que le Petit, qui avait pour mission
d’endommager certains circuits minuscules mais importants dans la chambre des
communications, à des fins qui se rattachaient à l’Evasion [...] », un passage qui nous révéle le but de la
conspiration : une évasion.
Deux indices apparemment clairs mais noyés dans l’étrangeté, la singularité du contexte.
Car quel peut bien être le lieu des événements que nous conte l’auteur ?
Qui peut bien être ce « Félix », qu'une bouffée de sensations submerge, et qui
pourtant reste à flotter, « apparemment indifférent, au milieu du couloir [qui mène]
à la Section de Biologie » ?
Et quelle est la nature de ce « relais accroché au mur treillagé du fond du couloir » transmettant
les nouvelles ?
L’auteur distille, avec le sens du suspens et du mystère, les réponses aux questions que se pose
le lecteur au fil des premières lignes.
Juste assez tôt pour ne pas l’éloigner des personnages - les conspirateurs -,
de leur vie et des préoccupations qui les animent, mais pas trop, non plus, pour maintenir
le mystère et alimenter l’envie du lecteur de découvrir leur véritable nature.
L’écriture de ce court récit, au travers de sa traduction en français, dévoile ainsi les réponses
aux questions comme si l’on retirait des poupées russes les unes après les autres, chaque
réponse à la question du moment en dévoilant une autre. A ce jeu, il ne peut y avoir qu’une
issue, une ultime question, éternelle en dramaturgie : comment ça va se finir ?
Le récit s’enrichit au fil de ses 35 pages, mettant en scène une poignée de personnages
principaux et leurs amis dans leur quête d’évasion, ainsi que leurs adversaires.
Et les créatures dont il est question prennent conscience de leur propre nature chacune à leur
rythme tout en en partageant les avantages, les inconvénients ainsi que les questions d’ordre
éthique et pratique que cela soulève.
Ces différences entre les créatures sont expliquées par le postulat que l’auteur révèle au
travers de cette prise de conscience tout au long du fil de l’histoire et cela jusqu’au dénouement,
retournement de situation qui ne manque pas de renverser la vapeur.
Une histoire écologique qui se tient très bien, rationnelle, efficace (voire imparable et
implacable), et affichant un zeste de remise en question, du moins de mise en perspective, de
la nature humaine et de la civilisation sans pour autant aller jusqu’au cynisme.
Une superbe histoire de science-fiction, dense et intense comme toute les bonnes histoires du
genre, ramassée sur quelques dizaines de pages et qui extirpe de nous des sentiments que nous
ne portons pas toujours en surface.
Comme quoi, parfois, il suffit de creuser un peu pour trouver une bonne idée et savoir en
découvrir les enseignements, quitte à se remettre en question le temps d’une petite histoire,
pour ne pas s’endormir trop tôt ni s’aveugler de quelque fatalisme, en une époque où les
inégalités se creusent, les mains se délient, se détachent, les regards aussi, où l’on s’éclaire à
la lueur des bombes, où l’on communique sans toujours se comprendre,
où l’on pousse les animaux dans les bétaillères jusqu’à ce qu’il n’y ait plus un seul litre d’air disponible,
pas même dans leurs poumons, où les gens poussent pour s’entasser dans le métro loin des premiers rayons de soleil,
se serrant les coudes à défaut d’être solidaires,
tandis que notre cauchemar de la nuit ne s’est pas encore tout à fait éteint,
rémanence d'un reportage bien réel au contenu sans nom
:
une cuisine où l’on plonge quelques chats et chiens vivants et terrorisés dans
l’eau bouillante, en dépèce d’autres à vif (singulière vivisection culinaire), en ignorance ou
indifférence (quelque mépris inconscient peut-être), sans même leur en éviter la souffrance par un
abattage sommaire.
Mais tout cela est une autre histoire. Chacun a la sienne. Histoire de notre monde et de ce que
nous en faisons. Pour une fois, je sors mes griffes...
Neocobalt, le jeudi 17 novembre 2005.