Einstein, Podolsky, Rosen, Pythagore, et Dieu

Jacqueline Russ, dans son « Panorama des idées philosophiques – De Platon aux contemporains » aux éditions Armand Colin, présente la philosophie pythagoricienne : « Pythagore pose le nombre comme principe essentiel des choses ... Tout est nombre ... Les nombres représenteraient l’essence du réel ... Dans la pensée moderne, tout nombre entier est multiple de l’unité. Chez les pythagoriciens, les nombres résultent de la division de l’Unité. »

La division de l’Unité est une notion qui peut être mise à l’épreuve en pensée par l’effet EPR, des noms de Einstein, Podolsky et Rosen, coauteurs en 1935 d’un article qui raconte une expérience de pensée impossible à concrétiser à l’époque, expérience dans laquelle des particules agissent l’une sur l’autre instantanément et à distance. Deux particules, à condition qu’elles aient interagi à un moment donné, demeureront unies par un lien mystérieux. Toute action sur l’une influe forcément sur l’autre, même si elles sont éloignées l’une de l’autre par une distance aussi grande que de la Terre à la Lune.

De nos jours, il existe un système (parmi d'autres notamment à base de circuits logiques quantiques) qui produit des paires de particules éjectées simultanément dans des directions opposées. Chaque particule de la paire est dans un état indéterminé. Pourtant, si on mesure les états respectifs des deux particules, cela donne systématiquement des résultats complémentaires. On obtient de façon aléatoire : 0-1 ou 1-0. La mécanique quantique explique que les deux particules ainsi produites constituent un seul système, une paire EPR. C’est ce système, la paire EPR, qui choisit de se mettre dans un des deux états possibles 0-1 ou 1-0 au moment de la mesure.

C’est un peu comme si une unité quantique s’était divisée en deux. Deux moitiés d’une même paire.

Imaginons un instant que « l’Unité » pythagoricienne se divise en une foultitude d’entités. Celles-ci pourraient, pourquoi pas, demeurer unies par un lien mystérieux. Comme par un lien EPR, entre entités tangibles et bien réelles, mais dont l'étrangeté échapperait à une observation formelle, a fortiori matérialiste.

La philosophie pythagoricienne a contribué à la pensée présocratique de l’Antiquité grecque. Les idées philosophiques médiévales y succèderont avec la volonté de concilier foi et savoir. Et Dieu n’est pas si loin. Dieu qui serait en chacun de nous, comme si Dieu était « l’Unité » qui se serait divisée pour donner naissance à toute chose, à tout être et à nous-mêmes. Nous demeurerions unis par un lien divin, liés entre nous et à chaque constituant du monde, et à Dieu même. Peut-être ce lien pourrait-il se rapprocher du « saint esprit », semant en chacun de nous notre âme, inaliénable de Dieu. Et, comme le désormais prosaïque lien EPR, la nature de l’âme échapperait à toute mesure et peut-être même à toute investigation.

Pour conclure, rapprocher raison et foi est un exercice fascinant auquel se sont adonnés nombre de philosophes. Quant à moi, ni philosophe, ni théologien, je ne m’embarrasserai pas de plus amples digressions, pour ne pas me perdre sur un sujet qu’il ne m’est pas donné de défendre ni de justifier par la raison. J’aime l’écriture, tout simplement.

Neocobalt, le 19 septembre 2002.