Avant d’aborder le sujet passionnant de la téléportation,
faisons un petit voyage dans le passé.
Premières années du XXème siècle.
On y retrouve la mécanique quantique, la partie de la physique qui explique le
comportement des particules plus petites que l’atome.
Les lois de la mécanique quantique permettent aux particules de faire des choix aléatoires.
Et si ce hasard n'est pas le simple reflet de notre méconnaissance, de notre ignorance du
déterminisme qui le contraint,
il nous en révèle peut-être bien la fin.
De plus, toute mesure d’une propriété quantique fait que la propriété change dans le
processus.
Cela signifie également que mieux l’on connaît la position d’une particule, moins l’on peut
connaître sa vitesse au même moment.
En d'autres termes,
il n'est pas possible de connaître avec exactitude à la fois
la position d'une particule et sa quantité de mouvement.
Un scientifique expliqua le comment et le pourquoi d'une telle incertitude.
Pour mesurer une propriété quantique d'une particule,
il faut disposer de quoi prendre cette mesure.
Un agent qui va interagir avec la particule pour prendre cette mesure.
Un photon par exemple.
Et ce photon va interagir avec la particule,
ce qui aura pour effet de modifier la quantité de mouvement de la particule,
même si l'altération est infime.
Et c'est la propre quantité de mouvement du photon
qui causera cette altération sur la quantité de mouvement de la particule.
Il n'est donc pas possible de connaître, avec exactitude,
simultanément la position d'une particule et sa quantité de mouvement.
C’est le principe d’incertitude d’Heisenberg.
En 1935, Einstein, Podolsky et Rosen cosignent un article qui raconte une expérience de
pensée impossible à concrétiser à l’époque, expérience dans laquelle des particules agissent
l’une sur l’autre instantanément et à distance.
Deux particules, à condition qu’elles aient interagi à un moment donné, demeureront unies par
un lien mystérieux. Toute action sur l’une influe forcément sur l’autre, même si elles sont
éloignées l’une de l’autre par une distance aussi grande que de la Terre à la Lune.
Ces deux particules, qui peuvent se trouver à une longue distance l’une de l’autre, sont en
quelque sorte couplées, jumelées, de sorte que les propriétés de l’une affectent l’autre
instantanément.
« Cela veut dire que si l’on chatouille l’une, l’autre rit » dit Kimble du Caltech (California
Institute of Technology de Pasadena).
On aura compris que dans le monde quantique, les lois classiques s’appliquant à la matière
et à l’énergie n’ont plus cours.
Et dans un sens, cela semble violer une loi fondamentale de
la relativité restreinte développée par Einstein en 1905
qui stipule qu’aucune information ne peut être transmise plus vite que la lumière.
On appelle cet effet mystérieux, l’effet EPR, du nom de Einstein, Podolsky, Rosen,
effet quantique étrange et mystérieux appelé Entanglement en anglais
(traduction littérale : enchevêtrement).
Sa singularité, le paradoxe EPR, ne montre pas que la relativité restreinte
soit violée - aucune information ne peut être transmise plus vite que la lumière -,
par l'enchevêtrement de particules, la réaction instantanée de l'une au changement d'état
de l'autre n'étant pas reconnue comme une transmission d'information.
Dans les dernières années du 20ème siècle, les scientifiques ont enfin la technologie pour
réaliser l’expérience EPR. Et l’on démontre par l’expérience concrète que les particules
interagissent bel et bien à distance, sans l’aide d’une quelconque entité cachée.
Il existe un système qui produit des paires de particules éjectées simultanément dans des
directions opposées. Chaque particule de la paire est dans un état indéterminé. Pourtant, si on
mesure les états respectifs des deux particules, cela donne systématiquement des résultats
complémentaires. On obtient de façon aléatoire : 0-1 ou 1-0. La mécanique quantique
explique que les deux particules ainsi produites constituent un seul système, une paire EPR.
C’est ce système, la paire EPR, qui choisit de se mettre dans un des deux états possibles 0-1
ou 1-0 au moment de la mesure.
Claude Crépeau, chercheur de l’Université McGill, explique au sujet de deux particules d’une
paire EPR que « toute observation de la polarisation [d’un photon] selon une certaine
direction mènera à des observations opposées » et cela « dans toutes les directions
d’observation possibles » pour la raison suivante : « l’ensemble des deux particules est dans
un état conjoint où elles s’opposent toujours l’une à l’autre ».
Si on fait une mesure sur une particule A d’une paire EPR A-B, on l’oblige à choisir son état
0 ou 1. Ce choix aléatoire est « ressenti » simultanément par la particule B qui était dans un
état indéterminé ; elle glisse instantanément à l’état complémentaire avec la mesure faite sur
A. Ainsi, si la particule A choisit de prendre l’état 0, B se retrouvera dans l’état 1
instantanément.
Dès lors, le grand rêve de la téléportation devient possible. Puisque des particules peuvent
interagir, on doit pouvoir faire en sorte qu’elles communiquent entre elles.
Dans Star Trek,
le téléporteur dématérialise les membres de l’équipage, James T. Kirk par
exemple, et le reconstitue en un endroit précis, à la surface de quelque planète.
Le téléporteur emprunté par l’équipage de l’Enterprise pour se transférer ailleurs, sur une
planète par exemple, est une machine science-fictionnelle qui transfère le corps des membres
de l’équipage dans l’espace sous forme d’énergie.
La téléportation quantique ne marche pas exactement comme ça. Mais elle peut transmettre
les informations quantiques dont on a besoin pour reconstruire le corps du capitaine de
L’Enterprise à sa destination et dans un état identique.
Et l’on peut envoyer l’information quantique aussi longtemps que l’on ne connaît pas ce que
l’on envoie.
Le type de système de téléportation mis en œuvre par l’approche actuelle ne ferait
qu’exploiter l’effet EPR et envoyer l’information sur les atomes composant le voyageur (le
plan d’assemblage). A destination, cette information serait utilisée pour assembler une
réplique du voyageur à partir de matériaux de base EPR stockés sur place.
« Cela fonctionne par la décomposition de quelque chose en un point et ensuite par sa
reconstruction en un autre lieu » explique le Dr. Samuel Braunstein de l’Université de Wales
à Bangor, où prit place l’expérience du 23 octobre 1998 en collaboration
avec le Caltech (California Institute of Technology) de Pasadena.
La téléportation ne transfère pas l’objet de l’émetteur au récepteur. En réalité, l’objet est
détruit et on en fait une réplique.
Comment ça marche ?
Prenons pour référence les premières expériences de téléportation quantique réussies avec des
photons.
Le photon est l’unité élémentaire de la lumière. Selon les moments, le photon se comporte
comme une onde ou un corpuscule.
Supposons que l’on donne à Alice un photon que l’on s’accordera à nommer Victor et de
polarisation inconnue. La mission d’Alice, transmettre cette propriété quantique à Bob. Nous
supposerons qu’Alice ne sait pas où se trouve Bob.
Conformément aux lois de la mécanique quantique, Alice ne peut pas mesurer avec précision
la polarisation de Victor pour la communiquer à Bob.
Alice ne peut pas non plus faire des copies de Victor et les envoyer comme des bouteilles à la
mer dans l’espoir que Bob en récupère une.
Que peut faire Alice ?
Elle ne peut que faire voyager physiquement Victor à destination de Bob, voyage lent et
hasardeux puisque, rappelons-le, Alice ne sait pas où se trouve Bob.
Mais le magicien « EPR » est là. Il y a une solution.
Imaginons qu’Alice et Bob aient partagé avant le départ une paire de photons EPR. Alice a
gardé son photon « A » et Bob a emmené le sien « B » avec lui en voyage. Alice et Bob seront
alors en mesure de se transmettre les propriétés quantiques de Victor par l’intermédiaire de
cette paire EPR A-B.
C’est précisément cela la téléportation quantique.
Vient la deuxième étape : Alice fait interagir Victor avec son photon A.
Alice mesure la paire de photons Victor-A ; mesure qui aura pour effet de détruire la
polarisation de Victor.
Et la mesure de Victor & A aura pour effet que ces photons se retrouveront dans un des 4
états : 00, 01, 10, 11.
(Je choisis délibérément le langage binaire, et non la représentation de Bell datant des années
60, pour mieux en marquer la similitude.)
Chez Bob, cette mesure aura pour effet de transformer la polarisation de B en un des 4 états
possibles subordonné à l’état obtenu chez Alice.
Que s’est-il vraiment passé ?
Personne ne sait vraiment comment cela marche.
Nous pouvons imaginer toute même ce qu’il s’est passé.
Nous savons que « deux particules, à condition qu’elles aient interagi à un moment donné,
demeureront unies par un lien mystérieux. Toute action sur l’une influe forcément sur l’autre,
même si elles sont éloignées l’une de l’autre par une distance aussi grande que de la Terre à la
Lune. »
Or Alice a fait interagir Victor & A.
Nous pouvons logiquement conclure que Victor & A deviennent liées par un effet EPR.
Et instantanément, B « ressent » ce lien.
La mesure de Victor & A a pour effet leur « décohérence », le choix aléatoire d’un état.
B « décohère » alors d’une grandeur subordonnée à la mesure d’Alice.
Comme l’effet EPR, ce phénomène se produit à distance.
Toutefois, cela ne permet pas à Alice de communiquer de l’information à Bob. Bob ignore
dans quel état se trouve son photon B. Il en ignore même le changement.
Voici l’étape clef : Alice et Bob se sont mis d’accord avant son départ sur un code permettant
à Alice de communiquer à Bob le résultat de sa mesure. A chacun des résultats possibles est
associé le message 00, 01, 10, 11 du langage binaire.
Dès lors, Alice peut communiquer à Bob le résultat de sa mesure au moyen d’un signal radio
classique, par exemple, qui ne requière pas de visée, ni même qu’Alice sache où se trouve
Bob. Et une telle transmission peut s’effectuer à la vitesse de la lumière, limite théorique
prévue par la mécanique quantique.
A chacune des situations décrites par les codes 00, 01, 10, 11, on peut appliquer une opération
pour corriger l’état de B et faire de B une réplique de Victor.
Aussitôt dit, aussitôt fait. Bob peut corriger son photon B au moyen de l’opération associée à
la mesure d’Alice, afin d’obtenir le photon B dans l’état identique à l’état d’origine de Victor.
Résumons : pour téléporter Victor chez Bob, Alice doit au préalable partager une paire EPR
(A-B) avec lui. Elle mesure Victor & A, puis, au moyen de 2 bits d’information classique
(binary units, unités binaires), elle communique le résultat à Bob qui peut finalement modifier
B pour en obtenir une réplique exacte de Victor.
Depuis, des scientifiques sont parvenus à téléporter un rayon laser, c'est-à-dire, un faisceau
lumineux qui n’est autre qu’un flux de photons.
La théorie s’appliquerait non seulement aux particules subatomiques, aux particules
élémentaires, les atomes, mais aussi bien aux particules constituées de nombreux atomes. Et
l’on peut décrire une molécule aussi bien qu’un atome, par sa fonction d’onde. Aussi, serait-il
possible de connaître l’état de la molécule sans pour autant savoir quoi que ce soit de celui des
atomes la constituant.
Il sera peut-être même possible dans une dizaine d’années de téléporter des petits virus, parmi
les plus petites formes de vie connues.
Et si l’idée de téléporter un être humain laisse sceptique, considérez tout de même ceci. Si une
petite structure de matériel génétique pouvait être téléportée, comme celle d’un virus, ne
pourrait-on pas téléporter un chromosome, et même un génome entier, celui de l’être
humain ?
Et puis, comment ignorer que le processus de téléportation d’une particule ait pour effet de la
détruire ; il ne reste d’elle que l’information qu’elle a léguée à sa jumelle EPR.
La particule meurt. La téléportation la tue et ne fait que donner vie à une réplique.
Serait-il innocemment accepté et toléré de téléporter un être humain sachant cela ?
Le téléporter reviendrait tout bonnement à le tuer. Un meurtre prémédité. Un assassinat ?
C'est à peu près pour cette raison philosophique et éthique que
je préfère,
dans un cadre science-fictionnel,
le mode de téléportation proposé dans
Star Trek.
Dans cette série de Gene Roddenberry, rappelons-le :
"le téléporteur dématérialise les membres de l’équipage, James T. Kirk par
exemple, et le reconstitue en un endroit précis, à la surface de quelque planète.
Le téléporteur emprunté par l’équipage de l’Enterprise pour se transférer ailleurs, sur une
planète par exemple, est une machine science-fictionnelle qui transfère le corps des membres
de l’équipage dans l’espace sous forme d’énergie."
L'identité et l'intégrité de l'individu sont à peu près respectées.
Bien sûr,
nous pouvons nous interroger sur l'intégrité de l'âme de l'individu,
quelque soit sa véritable nature et à supposer seulement que l'âme existe,
durant le processus et à l'issue de la téléportation...
Mais intéressons-nous aux applications de ces recherches dans notre vie de tous les jours et
dans un proche avenir. Un peu d’anticipation après tant de science et de science-fiction.
« Ces travaux laissent entrevoir qu’un jour la nature quantique de la lumière pourrait être
exploitée pour concevoir un ordinateur quantique » annonce le Dr. Samuel Braunstein de
l’Université de Wales à Bangor, une machine qui aurait une puissance
de calcul bien supérieure à celle des ordinateurs actuels.
Les ordinateurs peuvent être implémentés à toute échelle car l’information s’affranchit des
contraintes de forme ou de taille des supports.
Cela signifie que l’information peut être véhiculée par toute particule régie par les lois de la
mécanique quantique.
Sur quoi repose l’information dans un ordinateur classique ?
L’information est sous la forme de 0 et de 1, des nombres binaires, des binary units (bits) ou
unités binaires élémentaires d’information.
Cela fonctionne comme de minuscules commutateurs « allumé » / « éteint ».
Dans un ordinateur quantique, ce n’est plus cette même musique s’écoulant de quelque orgue
de barbarie friand de cartes perforées.
Et comme dans le monde quantique, les lois classiques s’appliquant à la matière et à l’énergie
n’ont plus cours, les commutateurs peuvent être en position « allumé » et « éteint » en même
temps.
Un seul de ces bits quantiques pourrait faire deux calculs à la fois, et deux bits quantiques
pourraient en faire quatre.
Bien sûr, comme dans tout calcul, on a besoin de lire le résultat de ce calcul.
Et cette lecture perturbe l’ordinateur quantique.
Les bits quantiques « décohèrent », basculent dans l’un ou l’autre de leurs états possibles,
« allumé » ou « éteint », à l’exclusion des autres.
Copier de l’information quantique a aussi une telle corruption pour effet, et c’est précisément
pourquoi la cryptographie quantique est aussi efficace.
Imaginons qu’Alice et Bob veuillent échanger un message secret. Ils se sont partagé au préalable deux entités A & B d’une paire EPR. Alice & Bob disposent d’un lien unique et privilégié entre eux, quelque soit la distance qui les sépare et en quelque endroit où ils se trouvent. Alice veut communiquer à Bob le message, auquel nous donnerons le nom de code Victor. Alice fait interagir Victor et A, mesure l’état résultant 00 ou 01 ou 10 ou 11, mesure qui au passage détruit Victor, puis elle communique en clair, pourquoi pas, cette valeur à Bob par un canal de communication qui ne requière pas de sécurisation. Comme cryptographie, on ne peut faire plus à découvert ; le Petit Larousse définit la cryptographie comme « l’ensemble des techniques permettant de protéger une communication au moyen d’un code graphique secret », du grec kruptos, caché, et graphein, écrire. Or le code est disponible à tout va, loin d’être « caché », et, bien au contraire, disponible à qui veut en prendre connaissance. Bien. Admettons que vous interceptiez le code. Admettons que vous lisiez la valeur « 11 ». Soit. Et vous en faites quoi ? Bob, lui, n’a pas ce problème. Il applique l’opération associée à cette valeur et corrige son entité B pour en faire la réplique exacte de Victor. Il ne reste plus à Bob qu’à lire B et prendre ainsi connaissance du message secret.
Cet article, non commercial, est librement inspiré d’une masse d’informations sur le sujet de la téléportation pêchées sur la « toile ». C’est une sorte de compilation pour assouvir ma soif de connaissance. Et je trouvais naturel de partager cela avec le plus grand nombre, en mettant tout cela à disposition dans mes pages. Toute inexactitude ou omission serait involontaire de ma part et je m’en excuse d’avance.
Neocobalt, le 18 septembre 2002.
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