Emergence de la conscience

 

Préambule

Cet article est en droite ligne de la spéculation science-fictionnelle. Je me propose de faire une digression sur l'émergence de la conscience, en veillant à souligner la problématique du raisonnement par analogie, et du réductionnisme.
Cet essai n'engage que moi, il est à consulter avec parcimonie et distance, car je ne suis pas de compétence reconnue en la matière. Je fais, avec plus ou moins de bonheur (et non sans une petite touche de prétention dont je m'excuse), référence en l'occurrence aux disciplines allant de l'algèbre de Boole, à la logique contemporaine, en passant par le calcul des propositions.

En conclusion, j'évoquerai les applications de ce concept d'émergence de la conscience, dans le domaine qui nous intéresse, celui de la science-fiction. Je citerai pour exemple quelques titres qui ont marqué l'histoire de la SF.

Il s'agit d'un essai ; la rigueur ne sera pas nécessairement au rendez-vous. Malgré cela, les remarques des internautes seront les bienvenues.

La conscience humaine

[LA RECHERCHE N°287 MAI 1996 p66] Toutes nos expériences conscientes s'expliquent par le comportement des neurones et sont elles-mêmes des propriétés émergentes du système de neurones. (Une propriété émergente d'un système est une propriété s'expliquant par le comportement des éléments de ce système mais qui n'appartient en propre à aucun des éléments particuliers du système et ne peut s'expliquer simplement comme la somme des propriétés des éléments du système.)

[LE CERVEAU - EMILE GODAUX - LES ESSENTIELS MILAN] Le système de neurones n'est autre que le système nerveux central. Dans ce système, il existe deux types de synapses :

« Chaque neurone est donc soumis en permanence à des influences contraires : excitatrices et inhibitrices. Selon que l'une ou l'autre l'emporte, un influx nerveux naît ou ne naît pas dans le neurone... L'activité électrique du neurone est due à des mouvements d'ions à travers de minuscules vannes (ouvertes ou fermées) qui transpercent la membrane [du neurone] de part en part. »
Ce système de vannes s'autorégule. Quant au potentiel d'action, il libère des neuromédiateurs excitateurs ou inhibiteurs ; ceux-ci prennent ensuite la rélève en alimentant les synapses connexes. La réaction en chaîne continue... Mais, on se demandera à juste titre, d'où vient l'influence excitatrice d'origine.
« Ce ne sont pas les perceptions qu'il a du monde extérieur ou les sensations qu'elles procurent qui gardent le cerveau en éveil. C'est de lui-même qu'il s'éveille... »
Ce centre de l'éveil est la réticulée activatrice, logée dans la partie supérieure du tronc cérébral. Elle éveille le cortex, mais réciproquement, le cortex peut l'activer.

Bien sûr, on peut toujours chercher l'activation originelle, en amont.
Le système nerveux central ne naît pas en l'état, attendant que la réticulée active le premier maillon de la chaîne. Il est le fruit de la division d'une cellule, elle-même fécondée, puis de la formation et la croissance d'un embryon, qui devient plus tard un être humain viable, et dont l'un des composants est l'encéphale.
Je parlerai d'impulsion primordiale, en gardant en permanence à l'esprit, que cette impulsion primordiale n'est pas nécessairement celle de « l'origine des origines ».

Si comme je le crois, cette dernière tournure de phrase - l'origine des origines - vous interpelle, vous m'offrez alors la transition.
En effet, en tant qu'être humain, nous sommes le fruit de la nature, la nature elle-même partie intégrante de notre univers. Je parle de celui dans lequel nous vivons.
Qu'il s'agisse de l'univers « Univers », de notre région de l'univers, ou bien du monde dans lequel nous vivons et interagissons, n'a guère d'importance. Je proposerai néanmoins de prendre pour référence l'Univers, comme hôte de l'impulsion primordiale.

Ainsi, grâce à lui, nous sommes des êtres pensants ; vous lisez cet article, grâce à l'appui de votre centre de l'éveil, quant à moi, je l'écris "en ce moment même" grâce à la bonne marche de ma réticulée, et la vie suit son cours.
Peut-être, cette écriture et cette lecture seront-elles suivies d'impulsions analogiques, qui s'exprimeront ensuite sous forme numérique. Elles me parviendront enfin sous forme lisible : je lirais alors votre e-mail, approbateur ou désapprobateur, ou bien je n'en lirais aucun, aucun ne me parviendrait... Ces nouvelles impulsions, dans la chaîne de causalité qui nous lie, m'encourageront à continuer d'écrire, ou au contraire, à inhiber certaines démarches.
En cet instant, la vie de la rubrique de la spéculation science-fictionnelle se joue peut être... Mais, comme je le dis souvent : « Ben, on s'en balance... » ;-)

Spéculation science-fictionnelle

Supposons un instant que la conscience résulte de l'interaction de flux, de flux d'impulsions précisément. N'est-il pas évident que l'activité de l'Univers, dont nous sommes des éléments, peut être décrite comme l'expression de flux d'impulsions ?
Nous-mêmes serions des médiateurs, des messagers, des ambassadeurs... Nous collaborons à l'activité de notre monde ; nous interagissons à chaque instant, avec notre environnement, du seul fait que nous en faisons partie.

Des structures se font et se défont. Il existerait même des particules virtuelles d'une durée de vie si brève, qu'elle les exclut du tangible, du champ de notre perception. Pourtant, elles aussi s'intégreraient aux flux des impulsions, et au jeu des interactions.

Eh oui, il n'y a qu'un pas à postuler que de l'Univers émerge une conscience.

Beaucoup croient en l'existence d'un être suprême, peut-être faites-vous partie de ceux qui croient en un dieu, en Dieu. Celui-là même qui envoya le messie, voici deux millénaires.
Je ne peux m'empêcher de mentionner l'idée qui fut répandue voici longtemps, celle des homoncules, ces petits hommes virtuels qui vivraient dans notre cerveau, et rempliraient les tâches d'administration de notre activité nerveuse.
Je ne peux m'empêcher de suggérer que l'envoyé de dieu, son messager, soit comme l'un des homoncules de son « cerveau », l'Univers, notre monde...
Peut-être nous-mêmes, souhaiterions-nous envoyer un ambassadeur au coeur de notre esprit, afin d'améliorer les choses...

Je fais une pause pour préciser que le raisonnement par analogie n'est pas des plus raisonnables ; il est à consommer avec pondération. En l'occurrence, ces quelques paragraphes qui précèdent, en sont une illustration flagrante. Je vous laisse juges.

Peut-être pourrions-nous tenter une démonstration par la logique. (Et au passage, pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ;-) La proposition pourrait être la suivante :

Le système nerveux est le siège de l'interaction de flux d'impulsions, et, une conscience en émerge.

Ainsi :

L'Univers est le siège de l'interaction de flux d'impulsions, ce qui implique qu'une conscience en émerge.

Démontrons que c'est vrai. Bon, c'est indécidable, du moins à l'échelle de l'Univers. Peut-être en abordant le problème sous un autre angle...

« L'Univers est le siège de l'interaction de flux d'impulsions, ce qui implique qu'une conscience en émerge. » car il ne peut en être autrement : vrai (nouvelle proposition).

Démonstration par l'absurde. Cela peut s'exprimer par le calcul des propositions sous la forme :

L'Univers est le siège de l'interaction de flux d'impulsions, et, il n'en émerge pas de conscience : faux (nouvelle proposition).

Bien sûr c'est indécidable, là encore à l'échelle de l'Univers, bien qu'il en abrite en son sein et nous en sommes les humbles hôtes... A force de jouer avec cette idée et de la retourner dans tous les sens, cela en devient tout de même troublant. Mais, je dois vous dire que je vous ai abreuvés de :

En ce qui concerne le réductionnisme, il a trait au mécanisme de l'analyse. Il s'agit d'un bon outil, mais il n'est pas à mon sens, une fin en soi.

En conclusion, nous ne sommes pas plus avancés. En apparence du moins...
Car des milliards d'impulsions se sont enchaînées pendant votre lecture, (et mon écriture). Alors, direz-vous ?
Bon, revenons à nos moutons : la science-fiction.

La science-fiction

Je citerai quelques références sur l'émergence de la conscience.

Je commencerai par l'oeuvre inspirée que nous devons à Isaac Asimov : Terre et Fondation, 1986 by Nightfall Inc. « L'humanité doit trouver son avenir entre le matérialisme de la Première Fondation et le mentalisme de la Seconde. Un avenir qui a pour modèle Gaïa la planète pensante, et pour nom : Galaxia...» [PRESENCE DU FUTUR - janvier 1991]

Egalement, le Cycle que nous devons à Frank Herbert : Le programme Conscience, qui comprend 3 tomes :

Je citerai aussi l'oeuvre de vulgarisation de Joël de Rosnay : L'homme symbiotique. Ou quand l'homme du futur, un homme symbiotique, est associé dans une étroite symbiose à un organisme planétaire ; émerge alors le cybionte, - une conscience planétaire peut-être - qui reste longtemps en filigrane de l'ouvrage, rigoureux et bien documenté. Dans cet ouvrage, l'auteur propose une description de « la vie du cybionte en la comparant à celle d'un organisme biologique. » Il en reconnaît les limites, celles de l'approche analogique, isomorphique ou métaphorique.

Sans oublier le précurseur de la conscience planétaire. TEILHARD DE CHARDIN a laissé des écrits théologiques et philosophiques qui se nourrissent d'une vision de l'évolution universelle et mettent en valeur la néo-cérébralisation humaine, aboutissant à une enveloppe psychique planétaire née de la Noogénèse, la Noosphère, au coeur duquel agit le « Christ évoluteur » et qui conduit l'humanité vers le royaume de Dieu, par la convergence en Oméga.

Et je conclus par la nouvelle La dernière réponse, disponible dans le recueil La pierre parlante et autres nouvelles d'Isaac Asimov, qu'il n'est plus utile de présenter, en texte intégral dans la collection Librio; extrait de Aux prix du papyrus / The winds of change and other stories, Nightfall Inc, 1983; Denoël, 1985, pour la traduction française de Monique Lebailly. Huis-clos sur l'éternité, réunissant un scientifique et Dieu, rien de moins : « Réfléchissez : j'existe de toute éternité. Mais qu'est-ce que cela signifie ? Que je ne me souviens pas comment [...] » Chut ! Exigez l'original !

Conclusion

Cet écrit extravagant devrait nous conforter dans l'idée qui fait la force de la science-fiction : elle est féconde, et fédère les imaginaires. Elle participe également à l'émergence de pensées nouvelles, et tend des passerelles entre les rives de sciences qui s'isolaient encore il y a peu, chacune de leur côté.
J'espère que cet essai aura prodigué une impulsion divertissante, l'impulsion vers de nouveaux mondes étranges, de nouveaux horizons, univers, et bulles de réalité.

Neocobalt, le 17 novembre 1999.