La question du déterminisme est essentiellement métaphysique.
Commençons par une référence du traitement du sujet du déterminisme dans la science-fiction :
Cyteen de CJ Cherryh, roman fresque dans lequel l’auteur raconte l’histoire d’une
femme de science et de pouvoir, Ariane Emory, qui manque de temps pour mener à bien ses
recherches susceptibles de bouleverser l'histoire de l'humanité avant sa mort. Elle décide de se
cloner et confie le soin à ses alliés de prédestiner sa descendante, en la conditionnant, à suivre
ses traces et parachever son oeuvre. Bien sûr, la mécanique de cette manipulation va vite
s’enrayer.
Nous voyons là qu’il est difficile de distinguer entre eux dans une imbrication subjective le
déterminisme, la causalité, le libre-arbitre et le destin. Ces notions sont indépendantes les unes
des autres.
Par ailleurs, le déterminisme - sa notion - suggère que de l’état initial de l’univers tout en
découle de manière déterminée et qu'ainsi tous les états futurs sont déterminés ; la prédiction
semble dès lors possible.
Là aussi, il convient de ne pas confondre déterminisme et prédiction. Ce n’est pas la même
chose et nous allons le voir plus clairement dans la suite de cet exposé.
La notion de déterminisme est formulée pour la première fois au 17ème siècle par Spinoza.
La science a fait sien le déterminisme. Il semble évident que tout effet a une cause ; principe
de raison suffisante. En découle une croyance : les mêmes causes produisent les mêmes effets.
Et, si la notion de cause et celle de déterminisme ne peuvent être confondues, le déterminisme
semble aller de soi quand on a accepté la notion de causalité. Mais nous voyons bien dans le
roman Cyteen de CJ Cherryh qu’il est plus qu’ambitieux d’obtenir les « mêmes causes » pour
produire « les mêmes effets ». Nous verrons plus loin quelles modalités permettent de tendre
vers cette possibilité de reproduire de « mêmes causes » et bien sûr les limites de ces
modalités.
Le déterminisme stipule qu’il n’y a pas d’évènement sans cause et que les mêmes causes
produisent les mêmes effets. Par suite, tout ce qui arrive n’aurait pu être autre qu’il n’est. Il ne
peut en être autrement, par nécessité. La prédiction scientifique semble dès lors possible.
La cause est exprimable sous la forme d’une relation d’antériorité entre la cause et l’effet avec
un délai de temps. Ce lien est observable au billard quand la boule blanche rencontre une
boule pleine (ou une boule cerclée) : il s’ensuit un déplacement de la boule pleine. Une série
d’observations répétées permet par induction de poser comme universelle voire nécessaire
la relation temporelle entre les deux évènements – la rencontre de la boule blanche et de la
boule pleine et le déplacement de la boule pleine.
Par ailleurs, la causalité n’est pas toujours dans l’interaction des choses, elle peut être propre à
une chose et à ses qualités, intrinsèque. Nous pouvons nous référer au niveau atomique, par
exemple à un élément que nous connaissons comme atomique, indécomposable en d’autres
éléments. Eh bien, cet élément aurait des propriétés intrinsèques qui seraient causes
indépendantes, conférant une certaine liberté à cet élément.
Quant à la prédiction, l’application d’une loi universelle à un cas particulier, selon Popper,
permet de donner une explication causale d’un évènement, ce qui signifie déduire un énoncé
qui le décrit, en prenant comme prémisses de la déduction, d’une part des lois universelles,
d’autre part des énoncés singuliers qui constituent les conditions initiales.
Spinoza se demandait peut-être si le devenir de toute chose est déterminé. Au début de
l’Ethique, il indique que d’une cause déterminée - que l’on suppose donnée - suit
nécessairement un effet, et au contraire si nulle cause déterminée n’est donnée, il est
impossible qu’un effet suive.
Selon moi, il faudrait plus strictement se poser la question suivante : des conditions initiales,
le devenir de toute chose est déterminé pour ne pas être autre. Dans la suite des évènements,
tout évènement qui se produit n’aurait pu être autre ; il n’aurait pu en être autrement.
Le déterminisme scientifique de Laplace :
« Nous devons envisager l’état présent de l’Univers comme l’effet de son état antérieur, et
comme la cause de celui qui va suivre. Une intelligence qui pour un instant donné connaîtrait
toutes les forces dont la nature est animée et la situation respective des êtres qui la composent,
si d’ailleurs elle était assez vaste pour soumettre ces données à l’analyse, embrasserait dans la
même formule les mouvements des plus grands corps de l’Univers et ceux du plus léger
atome : rien ne serait incertain pour elle, et l’avenir, comme le passé, seraient présents à ses
yeux. »
Quand Laplace formule le principe du déterminisme scientifique, il suggère la possibilité de
décrire le passé, comme l’avenir, au moyen du seul calcul.
Le déterminisme permet alors de transformer la science en système prédictif.
Connaître les causes et croire que les mêmes causes produisent les mêmes effets
suffit pour considérer que l’état de l’univers à n’importe quel moment est contenu dans le premier
instant de son existence.
Pour Popper, une théorie physique est déterministe si elle permet de déduire, à partir d’une
description mathématiquement exacte de l’état initial d’un système physique fermé décrit
dans les termes de la théorie, la description de tout état futur du système.
Après réflexion, on peut s'affranchir de l’idée d’une prédiction absolue et d’un déterminisme
strict. Mais dans l’hypothèse d’un système fermé, la notion de déterminisme tient
parfaitement la route.
Prenons le cas d’un programme informatique. Il est programmé pour assurer une tâche
précise, avec des conditions initiales données, un but donné, pour fournir un résultat précis.
Un programme simple est le suivant (en pseudo code) :
Fonction bonjour() Début afficher(« bonjour ») Fin ;
Le programme affichera toujours « bonjour ».
Il en est de même pour des programmes plus élaborés qui accomplissent des tâches ou
produisent des calculs. Ils accomplissent le travail pour lequel ils ont été programmés.
Ils font ce qui a été écrit.
Ce qui a été écrit, cela nous mène droit à la notion de destin et de fatalisme.
Le destin, c’est ce qui a été dit par l’oracle et arrivera inévitablement puisque ça a été dit &
écrit.
Le fatalisme croit que l’avenir est entièrement déterminé quoi qu’il se produise, quoi que nous
fassions. Contrairement au déterminisme qui indique juste que tel effet s’ensuivra si on a telle
cause.
Le fatalisme revient,
dans une certaine mesure,
à nier le déterminisme : avoir l’effet sans avoir la cause.
Mais, comme l'explique Sacerdos dans sa contribution :
Ces deux notions
"ne s’opposent pas à la conciliation [...] si le fatalisme affirme que ce qui doit être sera,
que ce qui est écrit se réalisera, et que c’est inéluctable,
pourquoi ne pourrait il pas se baser sur le déterminisme pour se réaliser ?"
Notre devenir est-il écrit, quoi que nous fassions, ce qui doit nous arriver arrivera, non pas à
cause d’un enchaînement de causes et d’effets, mais parce que tel est notre destin ?
Qu’en est-il de notre libre-arbitre ?
Pour Spinoza, nous ne faisons pas l’expérience du libre-arbitre ; nous prenons seulement
l’ignorance des causes qui nous déterminent pour l’expérience de leur inexistence. Nous
serions ignorants des causes qui nous déterminent :
« Les hommes se trompent en ce qu’ils se croient libres ; et cette opinion consiste en cela seul
qu’ils ont conscience de leurs actions et sont ignorants des causes par lesquelles ils sont
déterminés ; ce qui constitue donc leur idée de la liberté, c’est qu’ils ne connaissent aucune
cause de leurs actions. »
Que reste-t-il du libre-arbitre ? Liberté qu’a l’homme de faire correspondre ses actes à sa
volonté.
Et grâce au déterminisme nous accédons au libre-arbitre ; sa connaissance nous libère, nous
donne la maîtrise sur les évènements : si vous savez que telle cause mène à tel effet, alors
libre à vous de tout faire pour produire cette cause, ou pour ne pas la produire si l’effet n’est
pas souhaitable.
Cette connaissance de la cause, et de l'effet qui en découle,
nous donne une chance d'atteindre nos objectifs
en contribuant activement à la mise en place des conditions propices à la réalisation de ces objectifs,
ou bien au contraire nous protège des risques encourus si nous savons éviter les mauvais choix.
Mais nous voyons que dans le film de la trilogie
Matrix
: Matrix reloaded,
Neo a la vision de la chute de Trinity
depuis le haut d’un immeuble poursuivie par un agent menaçant, dans la
matrice. Pour éviter cela, Neo demande à Trinity de ne pas le suivre dans la matrice pour sa
rencontre avec l’architecte. D’un drame dans le monde de Zion, s’ensuivra la décision de
Trinity d’aller dans la matrice, s’engageant alors dans la voie que Neo voulait éviter à tout
prix. Là, l’une des questions philosophiques de Matrix : en voulant atteindre un objectif ou au
contraire pour éviter un drame, ne risquons-nous pas d’obtenir l’effet contraire ?
Dans le film de Steven Soderbergh :
Solaris,
le professeur Gibarian tente sans passion de faire comprendre l'enjeu de cette problématique à son ami le Docteur Kelvin
(interprété par George Clooney) auquel il a demandé son aide :
« Il n'y a pas de solution, il n'y a que des choix ».
Il advient qu’il y a des limites au libre-arbitre et par là-même au déterminisme,
dont la connaissance mène à une libération.
Le déterminisme nous montre qu’il existe un ordre dans la nature.
Du chaos émerge l’ordre. Et le chaos est mis en évidence dans la science contemporaine. Il y
a le hasard : rencontre de séries causales indépendantes. Il y a la complexité : l’extrême
quantité d’interactions et d’interférences qui défient nos possibilités de calcul.
Indéterminations et phénomènes aléatoires.
L’indéterminisme n’est pas limpide, mais il y a une part d’incertitude, soit tenant aux limites
de notre entendement, soit inhérente aux phénomènes.
Nous constatons aujourd’hui l’indéterminisme et le hasard, jusqu’à quand ? Toucherons-nous
un jour la vérité sur le déterminisme ? La cause est une raison suffisante. De là à déterminer
toutes les conditions suffisantes, à affirmer l’existence d’un cause globale nécessaire : non.
Je citais les systèmes déterministes fermés.
Prenons l’exemple de notre programme informatique qui dit « bonjour ». Est-ce toujours
valable si, au lancement du système d’exploitation, le service système d’affichage ne démarre
pas ? Le message ne s’affichera pas et donc tout ne se passe pas dans les mêmes conditions.
Bien, dans ce cas le système fermé ne devrait-il pas inclure, outre notre petit programme, le système
d’exploitation s’exécutant dans la machine ? En bref, le « soft » qui tourne dans la machine,
le « software », autrement dit : tout le logiciel.
Partons du principe que je définisse ce « software » comme système déterministe fermé.
Qu’arrive-t-il si, juste avant que le programme envoie son résultat, j’actionne l’interrupteur du
moniteur pour l’éteindre ? « bonjour » ne s’affichera pas !
Bon, admettons que je fasse partie du système
physique fermé avec l’ordinateur dans mon bureau : le « hardware », composants matériels...
Ce système est de moins en moins fermé, non ?
Bien, je suis sage, je ne touche rien, mais une tempête solaire traverse la
machine, perturbe les niveaux électriques de la mémoire de l’ordinateur et change quelques
"0" et "1" du programme binaire en cours d’exécution, altérant son code
(un peu comme une forte source de radioactivité le ferait sur le code génétique d'un organisme vivant
dont l'ADN serait altéré ou viendrait à muter).
Hop, le programme se met à afficher « coucou ».
Nous pouvons continuer comme cela encore longtemps. Je pourrais toujours suggérer
l’existence d’une cause extérieure perturbant le résultat pourtant déterminé, attendu et
considéré comme ne pouvant être autre.
Un système fermé déterministe est une pure abstraction mathématique. Dans la réalité, la
question du déterminisme est essentiellement métaphysique car touchant à l’intouchable.
A chacun de trouver sa propre réponse.
Cet article est librement inspiré de travaux, de cours et de textes philosophiques que j'ai consultés sur la Toile et qui traitent du déterminisme et des concepts s'y rattachant. Je me suis efforcé autant que possible de recouper les notions abordées & développées par leurs auteurs respectifs et de ne m'y reposer qu'à titre d'illustration. Ma tâche a consisté essentiellement à synthétiser, à structurer mon travail d'écriture, pour présenter mes propres arguments, et notamment à relier les idées par des transitions.
Neocobalt, le mercredi 31 décembre 2003.
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