Matrix revolutions

Neocobalt vs John Koenig

John Koenig : Bonjour Neocobalt.
Neocobalt : Bonjour John.
John Koenig : Alors voilà, je suis allé voir Matrix revolutions et j'en suis sorti particulièrement déçu. Est-ce ton cas aussi ?
Neocobalt : Je suis déçu en partie, mais d'un autre côté, le dernier opus de Matrix, Revolutions, apporte la possibilité de réponse à la question que je me posais depuis Reloaded.
John Koenig : Ah bon, tu as trouvé des réponses dans Matrix revolutions ? Parce que moi j'ai surtout trouvé que justement on n'apportait aucune réponse aux nombreuses questions posées.
Neocobalt : Donne-m'en une.
John Koenig : Zion réelle ou virtuelle ? Moi, je trouve que ce n'est pas tranché. Le Mérovingien, c'est quoi ou qui exactement ? Et des questions de ce genre, j'en ai des centaines en réserve !
Neocobalt : Zion, réelle ou virtuelle ? Tu veux ma réponse ?
John Koenig : Oui.
Neocobalt : Eh bien, Zion est réelle et pas réelle.
John Koenig : Alors là, je suis bien avancé. Tu vois tout le problème ? Pour un film, qui selon Joel Silver (le producteur) devait donner toutes les réponses, ben, il n’y en a pas beaucoup. Et pour que toi aussi tu restes dans l'expectative, c'est que toi aussi tu attendais de vraies réponses, non ?
Neocobalt : En effet, il faut trouver ses propres réponses à de nombreux sujets. Pour Zion, qu'entends-tu tout d'abord par : réelle ?
John Koenig : Ben, Zion est-il une autre matrice ou un monde vrai, similaire au nôtre (pourquoi pas notre propre réalité) mais dans un lointain futur ?
Neocobalt : Tu considères que le monde de Zion est identifiable au monde futur du nôtre, spectateurs ?
John Koenig : Tout à fait.
Neocobalt : Et cela te gêne bien sûr, en référence à deux ou trois petites bricoles.
John Koenig : Pas que deux ou trois. Ca me gêne par apport à une foultitude de questions soulevées par Reloaded !
Neocobalt : Un exemple notable peut-être ?
John Koenig : Tout simplement, le fait que Neo stoppe les sentinelles dans Matrix 2. Comment est-ce possible si il n'est pas dans un monde matriciel ?
Neocobalt : Je reformule : Comment est-ce possible si Neo est dans notre monde réel (futur) ?
John Koenig : C'est exactement ma question !
Neocobalt : A l'attention des visiteurs, je ferai allusion au contrat de réalité. Le contrat de réalité est ce qui donne les règles du jeu d'une oeuvre de fiction ; puisque Matrix en est une, on ne saurait confondre le monde de Matrix avec notre monde réel, tout au moins est-il possible de s'y identifier.
Notre consensus est le suivant : le monde réel de Zion, que nous appellerons désormais le monde des machines, ne correspond pas à notre monde réel de spectateurs.
Dans ce cas, à quoi peut-il correspondre ?
Pour comprendre cela, il faut voir que Neo accomplit seulement quelque chose d'impossible dans notre monde, quelque chose que nous qualifierions de paranormal dans notre monde. Mais pas dans le monde des machines, tout simplement.
Paranormal, signifie qui contrevient aux lois du monde.
John Koenig : Bon, alors là, j'ai rien compris du tout ! Tu peux être plus clair ?
Neocobalt : Il y a une autre approche, et c'est là qu'est toute la difficulté pour appréhender Matrix, son contrat de réalité justement. Peut-être les auteurs s'identifient-ils au monde de la matrice et non pas à celui de Zion. Dans ce cas, notre monde "serait" celui de la matrice ! Tout en acceptant que le monde des machines soit bien "un" monde "réel".
John Koenig : Là c'est plus clair. Donc selon toi, le postulat serait que notre niveau à nous, spectateurs, serait celui de la matrice et que Zion serait dans un monde supérieur. C'est bien cela ?
Neocobalt : Exactement, c'est la meilleure interprétation que j'ai trouvée jusque là, après la thèse de la seconde matrice, invalidée depuis. Et ainsi, les lois de la matrice seraient déterminées par les lois du monde des machines l'ayant créée, des lois que nous découvrons peu à peu dans Revolutions et dont nous ne savons pas grand chose.
John Koenig : Mais alors là, nous entrons dans une conceptualisation divine de l'oeuvre. Nous entrons dans un film qui parle du divin et des mondes supérieurs. Ca ne te gêne pas toi, Ô Neocobalt, qui est un apôtre de la vraie science-fiction et qui a du mal à supporter que du fantastique se glisse dans de la SF ?
Neocobalt : Le fait est que nous ne savons pas exactement la nature métaphysique de notre monde et de notre réalité. Il est possible qu'il y ait autre chose au-delà, nous ne sommes pas sûrs de notre sort. Et Matrix serait simplement métaphysique et non pas exactement religieux, contrairement à beaucoup de critiques qui circulent en ce moment dans les forums.
La religion, certes, a une grande place aux Etats-Unis d'Amérique.
Là réside toute la difficulté pour s'identifier au contrat de réalité de Matrix.
John Koenig : Mais ne trouves tu pas que parler métaphysique dans une oeuvre de science fiction, c'est de la tromperie sur marchandise ? Je suis allé voir une oeuvre de science-fiction et j'attendais des réponses scientifiques. Je ne peux donc qu’être déçu !
Neocobalt : Tu as déjà lu du Philip K.Dick, n'est-ce pas?
John Koenig : Tout à fait. Entre autres, Ubik.
Neocobalt : Et Matrix n'est pas de la science-fiction dure, comme celle d'un Arthur C.Clarke, mais plutôt une science-fiction en marge, une S-F "borderline".
John Koenig : Donc ce n'est pas une vraie oeuvre de S-F, mais une oeuvre qui se sert de la S-F pour soulever des questions métaphysiques. C'est bien cela ?
Neocobalt : C'est à peu près ça. Je n'ai soupçonné cela que tardivement avant la sortie de Revolutions.
John Koenig : D'accord, là je suis un peu moins en colère. En fait, ce sont "nos amis" les producteurs qui ont communiqué autour du fait que Matrix était de la pure S-F sans trop tenir compte de la véritable ambition des frères Wacho ?
Neocobalt : La démarche des auteurs me paraît courageuse, en effet. Et cela montre le potentiel de la S-F.
John Koenig : Oui, mais le potentiel de la S-F a tout de même été fortement détourné non ?
Neocobalt : Pas seulement cela. Je crois avoir appris qu'un auteur sur le sujet de la simulation a été sollicité par les frères W. pour relire leur scénario inspiré de ses travaux. Il aurait confié qu'il doutait du bien-fondé de leur approche.
John Koenig : OK, donc Matrix est une œuvre je dirais, "philosophique", qui prend des chemins détournés pour parler de métaphysique. Ca je l'accepte. Mais ce que j'ai du mal à avaler c'est quand des questions de bases purement scénaristiques sont laissées de côté.
Neocobalt : L'approche des frères W. paraît bien platonicienne, avec son mythe de la caverne et du monde des idées...
John Koenig : OK, j'accepte cette idée. Mais je répète, tu ne trouves pas qu'il y a des oublis purement scénaristiques ?
Neocobalt : Un exemple ?
John Koenig : Des personnages qui sont présentés, mais dont on ne connaît pas la finalité, comme le Mérovingien, Perséphone, Séraphin.
Neocobalt : Je suis tout à fait d'accord avec toi. Il y a des questions laissées sans réponse. Pour le jeu on-line peut-être?...
John Koenig : Merci pour ceux qui ne possèdent pas de console de jeux ! Et puis, là c'est franchement une prise en otage intellectuelle pour forcer un achat ! Gênant non ?
Neocobalt : Je pense que les frères W. n'ont pas tout maîtrisé et non pas su comment expliquer toute leur vision concernant les personnages comme le Mérovingien, l'Oracle, Séraphin... Ce n'est pas uniquement à mon sens une contrainte commerciale.
John Koenig : C'est à dire ?
Neocobalt : L'oeuvre parfaite n'existe pas, c'est un mythe. Les frères W. n'ont pas su tout boucler ou n'ont pas cru nécessaire de le faire. Toujours est-il que pour les producteurs, il s'agit d'une manne bel et bien. La porte reste ouverte pour des produits dérivés apportant leur lot de réponses... et de questions.
John Koenig : Bref, à te lire, on risque bientôt d'avoir une version "réalisateur" de Matrix à opposer à la version "producteur". Le syndrome Blade runner a encore frappé.
Autre point, comment analyses-tu la fin de Revolutions ? «Reload» ou pas «reload» ?
Neocobalt : «Reload» ; car nous ne savons pas ce qu'est le «reload» hormis ce qui s'y associe, tel que le retour à la Source de Neo et la destruction de Zion.
Et toi ?
John Koenig : Ben, si je pose la question c'est que je n'en ai pas la moindre idée. Mais dans l'absolu, je dirais « reload », mais totalement différent de celui souhaité par les machines.
Au fait en parlant de "reload", dans les «reload» précédents (confère discours Architecte dans Matrix 2), Zion était totalement détruite et reconstruite par 23 survivants. Or, personne à Zion ne semble avoir souvenance de ce fait (et nous en serions pourtant au 5ème « reload ».) Ca ne te gêne pas ? Moi c'est un truc qui gâche complètement la compréhension nouvelle du film que tu viens de me donner.
Neocobalt : Il ne s'agit pas de 23 survivants. Il s'agit de 23 personnes que l'Elu sort de la matrice pour reconstruire Zion. Il ne sont pas au courant de tout ça (pilule bleue ou pilule rouge ?)
John Koenig : Si l'Elu est au courant quand il les sort, pourquoi il ne leur dit pas ? Il est au service des machines ?
Neocobalt : D'un certain point de vue, Zion est "reloadée". En fait, l'Elu retourne à la Source. Il n'y a pas vraiment de réponse ; là est la déception de Revolutions. C'est en cela que Revolutions déçoit.
John Koenig : Au fait, je n’ai toujours pas très bien compris ce qu'est la Source ! Source=monde des machines ?
Neocobalt : Grosso-modo, c'est un peu cela quand Neo arrive dans le monde des machines et qu'il est connecté par elles pour aller combattre Smith.
John Koenig : OK. Dernier point : le rôle exact de l'Oracle dans tout ça ? Voyante ou manipulatrice ?
Neocobalt : Narrativement: manipulatrice, si l'on en croit son dialogue avec l'Architecte à la fin de Revolutions.
John Koenig : Mais encore ? Elle joue contre son propre camp en fait ?
Neocobalt : L'Architecte représente l'ordre. Et l'Oracle, l'inattendu, la nouveauté, le changement.
John Koenig : Je dirais plutôt que l'Oracle est un programme de contrôle qui s'est pris "d'affection" pour les humains et qui décide de prendre leur parti pour modifier la donne et donner une nouvelle chance à la cohabitation humains/machines. Elle truque le 6ème «reload» (amour de Neo pour Trinity) pour modifier les choses. Ton avis sur mon analyse ?
Neocobalt : C'est une bonne théorie et qui inspire un peu d'optimisme dans une histoire aussi sombre. Y aurait-il de l'espoir, l'espoir de quelque chose, plus tard pour les deux mondes ?
John Koenig : Eh bien, mon cher Neocobalt, merci pour tes réponses. Je ressors de notre conversation moins déçu par le film et avec une nouvelle optique.
Neocobalt : "Everything that has a beginning has an end"
John Koenig : A bientôt Neocobalt, pour analyser ensemble, pourquoi pas, Harry Potter 3 ?
Neocobalt ?
Oxygène vite !

Neocobalt & John Koenig, le samedi 15 novembre 2003.