Blade Runner (1982)

Réalisé par Ridley Scott et scénario de Hampton Fancher & David Peoples.

Fascinant, flirtant avec le film noir, Blade Runner marque par son ambiance et son atmosphère sombre, et la musique de Vangelis grave dans notre mémoire des thèmes musicaux envoûtants.

Rick Deckard (Harrison Ford) est un blade runner. Travaillant pour le compte de la police, sa tâche est d’éliminer les réplicants qui se trouvent sur Terre. Les réplicants sont des êtres artificiels créés par Tyrell Corporation pour le travail sur les planètes colonisées, et leur présence sur Terre est interdite, d’où le rôle des blade runner comme Deckard. Malgré cette interdiction, 6 réplicants se réfugient sur Terre. Leur quête : obtenir que leur espérance de vie soit allongée car, du fait d’une sordide programmation, elle n’est que de 4 années. Se mettant en chasse des réplicants, Deckard tombe aussi amoureux de l'un d'eux : Rachel (Sean Young), réplicant qui s’ignore, sous la tutelle de leur créateur : Tyrell. Au cours de cette chasse, jeu du chat et de la souris, Deckard apprendra à être humain, et c’est Roy Batty (Rutger Hauer), le chef des réplicants, qui, mourant, témoigne du pathétique de la condition humaine et de son inéluctable finitude :
« I’ve seen things you people wouldn’t believe. Attack ships on fire off the shoulder of Orion. I watched C-beams, glitter in the dark near Tannhauser Gate. All those moments will be lost in time like tears in rain. Time to die. »
(« J’ai vu de grands navires en feu surgissant de l’épaule d’Orion. J’ai vu des rayons fabuleux, des rayons C, briller dans l’ombre de la porte de Tannhauser. Tous ces moments se perdront dans l’oubli, comme les larmes dans la pluie. Il est temps de mourir. »)

Blade Runner existe en deux versions : la version producteur de 1982 et la version réalisateur de 1992.
Dans la version producteur, une voix off accompagne le récit, celle de Deckard. Les producteurs ont aussi demandé une fin plus heureuse : un « happy end ». Dans la version réalisateur, à la fin, la porte de l’ascenseur se referme ; fermeture musicale de Vangelis, générique de fin. Tandis que dans la version producteur, Deckard & Rachel partent en voiture, au cœur d’un paysage ravissant et une nature chatoyante. Cette fin et ce contraste étaient inappropriés et desservaient le film. La fin de la version réalisateur de Ridley Scott fait preuve de plus de justesse, avec cohérence et rapidité.
Troisième point de différence entre la version producteur et la version réalisateur : Deckard fait le rêve d’une licorne au galop dans un bois. Ce rêve fait référence à la licorne-origami laissée dans le couloir menant à l’ascenseur, qui veut dire que le personnage incarné par Edward James Olmos est sur les traces de Deckard & de Rachel. Cette licorne-origami met en valeur la fin du film, version réalisateur, et lui donne un impact plus fort. Ce choix de Ridley Scott pose la question suivante : Deckard est-il lui aussi un réplicant ? Son rêve est-il aussi un implant, à l’instar des souvenirs de Rachel ? Ainsi, la version producteur poserait un humain qui cherche à retrouver son humanité, tandis que dans la version réalisateur, Deckard serait un réplicant qui se croit humain et découvre sa condition véritable.

Le film se distingue également du roman dont il s’est inspiré : Do androids dream of electric sheep ? de Philip K. Dick.
En revanche, le film se rapproche tout de même de l’univers de Philip K. Dick, et sa touche contemplative est soutenue par la musique de Vangelis.
Relatif point commun entre le film et le roman : tandis que dans le film Deckard part en chasse de 4 réplicants sur 6, dans le roman, deux androïdes sur les 8 de départ manquent également à l'appel, réformés par un autre blade runner. Dans le film, deux auraient « grillé ».
Les animaux (artificiels) sont récurrents dans le film, échos de la fascination de Deckard dans le roman pour les animaux véritables et dont la possession de l’un d’eux lui confèrerait une assise sociale.
Le personnage du roman, John Isidore, a pour alias dans le film : J. F. Sebastien, personnage attachant affecté d'un syndrome de vieillissement accéléré.
Dans le film, Rachel se croit humaine, du moins au début du film, contrairement à la Rachel du roman qui connaît parfaitement sa condition d’androïde et en joue envers Deckard. Rachel… Deckard nourrit également des sentiments à son égard dans le roman et il lui est d’autant plus difficile de réformer Pris que cette dernière est une réplique de Rachel.
A propos de Rachel, dans le film, elle a une scène : la scène du piano ; Rachel sait jouer. Et elle a le souvenir de son apprentissage, étranger à un vécu authentique. En est-elle pour autant moins humaine ? N’est-ce pas comme un inné à défaut d’un acquis ? L’inné est aussi partie intégrante de l’être humain. L’humain en perd-il pour autant son humanité ?

Blade Runner, c’est aussi un film noir. Un flic désabusé, quelques jeux d’ombre et de lumière et la voix off de la version producteur en témoignent.
Blade Runner évolue dans l’atmosphère nocturne d’une mégalopole du futur, la cité de Los Angeles en 2019, aux sombres sommets des immeubles qui crachent le feu des incinérateurs, dragons recyclant les déchets. Une ville dépourvue de nature, à l’opposé de la fin de la version producteur. Le roman quant à lui apporte une réponse à ce climat sombre : conséquences des retombées radioactives de la troisième guerre mondiale. Autres éléments du film noir : les jeux de lumière à travers les stores, le désenchantement du personnage principal, narrateur en voix off dans la version producteur, détective ou redresseur de torts. Solitaire, tandis que le personnage du roman est marié, il rencontre une femme fatale. Ainsi, Blade Runner est un film noir qui se transpose dans l’univers de la science-fiction avec des technologies baroques qui figurent un futur décadent.

Le film atteint finalement son objectif : nous interroger sur ce qui est vivant ou pas. L’atmosphère se dilate à la vue et à l’écoute du soufflet de l’équipement du Voigt-Kampff qui semble respirer.
Le spectateur ne sait plus qui est la proie et qui est le chasseur au fil du récit. Il se perd dans le flou.
Et Roy Batty nous fascine, quand il se plante un clou dans la main pour rallumer une ultime étincelle de vie en lui, partageant ses pêchés avec Deckard, quand il le sauve d’une mort certaine, faisant preuve de compassion, agonisant à l’orée de sa propre mort.

Le film vaut également pour ses références.
A ce sujet, j’ai lu dans les forums cinéma, consacrés au film de Enki Bilal Immortel ad vitam, une critique à l’encontre de Ridley Scott qui aurait pour ainsi dire plagié Bilal pour son film Blade Runner.
Enki Bilal nous éclaire sur cette question dans le N° 3 de Bédéka (le magazine de ceux qui aiment la BD) d’avril 2004, où Laurent Mélikian recueille ses propos « à l’occasion de la sortie de son troisième film Immortel ad vitam » :
« BDK : Il semblerait que Blade Runner vous ait marqué… - EB : Quand Ridley Scott est venu le présenter à Paris, il a tenu à me voir en personne afin de me remercier pour mes BD ainsi que celles de Moebius, Druillet, Mézières, etc., qui l’avaient inspiré pour Blade Runner. »
Ridley Scott a déposé de nombreuses touches de sa culture artistique et science-fictionnelle dans son film Blade Runner. Une référence, et non des moindres, est Metropolis. Et s’être inspiré d’auteurs tels que Enki Bilal, Moebius, Druillet, Mézières, est tout à son honneur. Ce ne serait pas la première fois, et encore moins la dernière, qu’un chef d’œuvre vaille aussi par ses références.

En conclusion, le film nous apparaît dans le fourmillement d’une uni-culture, une multi-éthnie animant les derniers habitants qui surnagent dans la houle humaine.
A deux pas de la cantine du coin, un solitaire cultive les yeux destinés à donner la vue aux réplicants de Tyrell Corporation. Le fourmillement populaire côtoie les technologies de pointe qui donnent vie aux réplicants ; vision d’anticipation de ce que pourraient devenir nos villes, nos cités et notre monde, à l’image du bal des pièces détachées de la génération high-tech de l’an 2000, dans les foires et les brocantes : vieux ordinateurs, carapaces de téléphones mobiles, cyber-emblèmes de notre société de consommation et de communication.
Cela soulève une question existentielle, comme en témoigne le parricide de Roy Batty sur son créateur Eldon Tyrell. Cela conduit à une déshumanisation, à une perte d’identité de la condition humaine, alors que nul ne peut plus vraiment faire la différence entre humain et androïde. Mais qui de l’humain ou de l’androïde peut juger de cette humanité ?

Neocobalt, le dimanche 11 avril 2004.

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